LA MISE EN REPRÉSENTATION

Le corps est depuis longtemps utilisé comme un outil de transformation dans le travail thérapeutique. Nous pouvons penser aux travaux de Moreno avec le psychodrame, qui propose aux personnes de « remettre en scène » des situations traumatiques vécues dans l’enfance. En se retrouvant « corporellement » dans le contexte de ces expériences, la personne, adulte maintenant, va pouvoir comprendre autrement, dire ce qu’elle a tu, ou faire ce qu’elle n’a pas osé faire à l’époque, et transformer ainsi son image intérieure de la situation traumatique ou douloureuse.

Dans l’école de Palo Alto, Virgina Satir a utilisé les « sculptures familiales », en positionnant dans l’espace les membres d’une famille dans des relations ou des postures qui reflètent l’image intérieure, réelle ou symbolique, que chacun porte des liens familiaux.

L’idée globale est que l’externalisation d’une image intérieure permet d’accéder à des informations que le langage pourrait bloquer. Cette nouvelle image extérieure pourra ensuite être réintégrée à un meilleur niveau d’équilibre.

Cette « mise en représentation dans l’espace » rend plus visible et conscient ce qui se dit souvent sans mots, ce que l’on ressent et qui nous agit à notre insu.

Bert Hellinger, père des constellations modernes, a remarqué à travers sa pratique que ce que les personnes qui se prêtent à ce type de « jeu de rôle » manifestaient très vite des ressentis, des émotions, qui appartenaient aux personnes qu’ils représentaient. Au-delà même des informations connues par les représentants, et parfois même par les patients. Il a donc laissé de plus en plus à l’expression de ces vécus, pour laisser émerger les dynamiques cachées dans les relations familiales, souvent à l’insu de tout le monde.

Dans l’exemple qui suit, après avoir échangé avec la mère (dans ce cas) pour définir la ligne essentielle du travail à faire en fonction de sa demande, je lui demande de choisir parmi les personnes présentes dans le groupe qui se réunit pour faire ce travail, des représentant(es) pour certains membres du système familial qui semblent être en lien avec la difficulté. Si les personnes acceptent, il leur est proposé de simplement rester debout, et de devenir attentif à ce qui change, principalement dans leurs sensations physiques : le cœur se met peut-être à battre plus fort, les épaules deviennent lourdes, ou les mâchoires se crispent soudain, on est attiré par l’une ou l’autre personne présente dans la représentation, ou au contraire on a envie de partir, ou on est en colère, ou triste tout à coup … toutes ces perceptions représentatives sont la manifestation à travers le corps des informations avec lesquelles on entre en résonance. Ce sont elles qui guident le travail de résolution que l’on fait ensuite, avec des échanges de regards, de paroles, ou des replacements dans l’espace.

Ce petit garçon a 4 ans, et il est constamment en colère, au point de jeter des cailloux sur les voitures qui passent, de hurler pendant des heures dès qu’on lui propose quelque chose, ou son contraire, de rejeter sa mère et toute manifestation de tendresse qu’elle voudrait lui adresser. Quand elle vient avec lui au cabinet, la mère est à bout, cherche à le placer dans une institution, fond en larme devant lui, désespérée. Le récit de l’histoire familiale montrera, dans la famille de la mère, une exclusion répétée des hommes de ses lignées : son premier mari (parti et jamais revu après la naissance de l’enfant), son propre père (emprisonné et rejeté), son grand-père, parti à la guerre et revenu pour trouver sa femme avec un autre, et qui n’a jamais pu reprendre une place dans sa famille. Lors du travail systémique que nous ferons un peu plus tard, le représentant de ce petit garçon en colère est constamment attiré derrière son grand père, et lorsque nous plaçons un représentant pour cet arrière-grand-père revenu de la guerre, l’attirance de l’un pour l’autre est palpable dans l’espace. Alors le travail consiste à redonner à chacun sa place par des paroles, des gestes symboliques, des regards … pour que ce petit garçon de 4 ans n’ait plus à porter la colère de cet homme rentré de la guerre sans foyer. Quelque mois plus tard, en balade sur un vide grenier dans ma région, je vois la mère s’avancer vers moi pour me dire à quel point elle est heureuse de voir que son fils s’apaise enfin.

Ce qui se vit dans ces mises en représentation, c’est comme si les personnes choisies en tant que représentants entraient en contact avec des informations présentes dans le système, des faits qui habitent « l’inconscient collectif » de ce groupe humain, et qui ne demandent qu’à trouver des conditions pour se matérialiser de nouveau, et chercher ainsi une réparation. Voilà bien l’élément tellement étonnant, et même parfois dérangeant, de cette pratique, car l’expérience que l’on fait bouscule nos idées habituelles sur le fonctionnement du monde et des choses. Il s’agit d’une manifestation de ce principe qui dit que « rien ne se perd, rien ne se créé, tout se transforme ».

Idris Lahore de son côté a utilisé ces mises en représentation pour mettre en lumière de façon simple les déséquilibres dans les systèmes, familiaux ou professionnels. La première image externalisée montre les nœuds douloureux, et les blessures aux grands principes de l’équilibre dans les systèmes. Ensuite, à travers des interventions courtes, il est possible de réorganiser le placement pour permettre à chacun de trouver une position plus juste, qui permette à la fois d’inclure tout le monde, en plaçant chacun à sa bonne place, dans un équilibre entre donner et recevoir.

C’est la force des mises en représentation que de nous montrer en un seul regard les lieux où une harmonisation est nécessaire, et de permettre des résolutions efficaces, qui dépassent la réflexion intellectuelle. En faisant appel à tous nos sens, nous mobilisons une autre intelligence, émotionnelle et physique, qui nous aide à mieux com-prendre ce que le travail nous invite à transformer.

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Héritons-nous aussi des contenus symboliques ? [PDF]